La « Saharienne »
Lors de notre dîner ARP du 19 sep 2019, Henri, F6GMQ, interrogeait Stéphane, F5NZY, sur l’origine dite « Saharienne » de la manipulation avec un Bug.
N’ayant pas su lui répondre tout de suite, Stéphane a posé la question à Jean-Pierre, F5YG, qui est un puits de science sur ce genre de questions.
Nous reproduisons ci-dessous l’explication de Jean-Pierre avec son aimable autorisation :
La manipulation dite « saharienne »
Elle est tout simplement géographique, la guerre, hélas. Dans les années 50/60, on envoyait comme transmetteurs en Algérie, pour deux ou trois ans au moins et sans le choix, des appelés du contingent formés à toute vitesse, en trois ou quatre mois en métropole. Arrivés là-bas, ils étaient aussi nuls que certains que tu connais et que nous ne citerons pas, avec notamment des irrégularités dans le rythme, même à l’intérieur d’une lettre ou d’un signe (le manipulateur électronique n’était pas encore d’usage courant). Se formant quasiment sur le tas, ils ne le faisaient pas exprès mais ça a donné des idées à la hiérarchie. Il fallait un bon entraînement pour lire une telle manipulation « dégénérée », entraînement que nos ennemis potentiels n’auraient sans doute pas, ce qui leur compliquerait la tâche dans leurs activités de renseignement.
On peut dire que, en ces temps-là, c’était devenu l’accent de l’armée française. Débutant mon apprentissage sur l’air dans les années 60 chez papa-maman, je me demandais bien ce qu’étaient ces stations qui pullulaient le matin dans le bas de bande 80 m, avec des indicatifs bizarres (genre FCF94), qui nous houspillaient si par malheur on venait à les brouiller, qui manipulaient comme des pieds de façon telle que je ne copiais pas la moitié des groupes de code transmis malgré la vitesse très raisonnable, qui avaient pourtant l’air de se comprendre entre-elles.
J’ai appris ensuite à les imiter, à imiter leur accent, de même que celui des marins de la MarMar (NdR : Marine Marchande), (forcément, j’en fus), des opérateurs de la gendarmerie, ceux du ministère de l’intérieur, etc…. À presque 100 pour cent, j’arrivais à deviner l’origine d’un opérateur devenu radioamateur à son style, pas seulement de manipulation, aussi tous ces petits trucs qui font le particularisme, abréviations, etc… De ce fait, aussi à les imiter quasiment à la perfection, à les tromper eux-mêmes. Un vrai perroquet, te dis-je !
F5VV Joël et quelques autres s’amusent aussi à ça. Tiens, tu prends le chiffre 5, tu le transmets en réduisant de plus en plus l’espace entre les cinq points, un peu comme le bruit de billes tombant sur le sol. Tu exagères aussi la durée de certains traits, augmentes l’espace entre certains groupes de points. Par exemple les robots, quand je passe QSL à F9TM, décodent QEEEl mais l’opérateur humain ne s’y trompe pas.
Dans la MarMar, nous étions beaucoup plus carrés et là, c’était l’exactitude à cent pour cent la règle. Nous adaptions notre vitesse aux conditions, augmentions systématiquement un peu l’espace entre les lettres pour améliorer la lisibilité, ce qui l’un des particularismes, l’une des marque de reconnaissance des marins. Il y en a d’autres. Trop de pognon en jeu pour ce permettre la moindre erreur dans un groupe de code ; il fallait que ce soit absolument parfait.
73 de JP, F5YG
Jean-Pierre nous fournit également des belles photos en témoignage :
L’ AN-GRC9 de F5YG qui servit à l’époque justement en Algérie :
et mes clefs Morses qui sont fautives justement de ce crime contre la belle télégraphie:
L’AN-GRC9 est maintenant dans la salle radio du Centre de Contrôle des Fréquences au CNMO-TSR de Favières où se trouvent les stations F9TM et FAV22. De même une partie de mes manipulateurs, trois d’entre eux sur ces photos, le J-45 qui se fixe sur la jambe, le J-48 et son boîtier métallique, et l’un de mes deux vibros BK100. J’en avais deux, l’un qui restait à la station radioamateur, l’autre toujours prêt dans la valise pour le boulot, équipage mobile immobilisé par un petit élastique pour le transport, qui servait lors de mes embarquements à la MarMar. Je préfère les savoir à Favières, où ils servent encore en des mains expertes (?), qu’à traîner ici.
J-P F5YG
Mille mercis à F5YG pour ses explications sur la manipulation Saharienne ; ça fait réfléchir ! Dans l’apprentissage du morse on insiste rarement sur le soin et la rigueur à apporter à la manipulation pour obtenir un rythme correct. La bonne séparation des mots entre eux et un espace bien constant entre lettres rend le décodage tellement plus agréable. Les keyers à affichage permettent d’ailleurs de s’auto-corriger facilement, car ils ne laissent rien passer de ce côté-là
73 à tous.