La Radio et moi
Nous sommes le 17 mars 2020. La télé annonce le confinement dû à la pandémie.
Elle retentit comme un coup de fusil ! La peur et la détresse encombrent l’esprit de beaucoup d’entre nous.
Je me retrouve à regarder par la fenêtre les rues désertes pendant de longues journées quand, soudain, j’ai l’idée de ressortir un vieux décamétrique que j’avais stocké dans un fond de placard, il y a 20 ans !
Une dame que j’avais connue à Nice, en 2000, et qui avait perdu son père radioamateur, m’avait fait don d’une bonne partie de son matériel : « je sais que ce matériel sera entre de bonnes mains avec vous. Mon papa en serait content ».
En vérité, je ne pouvais même pas m’en servir mais j’étais fasciné par ces gros appareils tapissés de boutons, luisants et mystérieux ! Des véritables machines à voyager !
Diligemment, je conserve avec beaucoup de soins les appareils.
Qui sait, un jour…
La passion pour la radio avait commencé à me chatouiller depuis mon enfance, grâce aux premiers jouets talkie-walkie des années 70, et à mon père qui écoutait les émissions radio sur les ondes courtes, jour et nuit.
C’est pendant l’adolescence que la CB allume le feu de mon imagination et de l’inconnu. Avec mes premiers sous, direction la boutique spécialisée du coin pour acheter le Midland / 77800 et une antenne boomerang.
À partir de ces acquisitions, tout un monde s’ouvre à moi.
D’abord du local, puis la magie de la propagation ! Des langues étrangères sortent de ma radio, des OM des régions du nord d’Italie et des Pays d’Europe se chevauchent, les premiers DX et des sauts de joie ! Puis le lendemain plus rien, le silence est le bruit de fréquence des 27 MHz.
Quelques jours plus tard, les voix distantes de milliers de kilomètres reviennent, encore plus fort ! Puis le silence à nouveau pendant des semaines…
L’exploration continue. Un ami me dit qu’il y a d’autres bandes à découvrir, notamment la VHF et l’UHF mais qu’il faut une licence pour pouvoir les utiliser !
Quoi ? Une licence ? Mais pourquoi ? Après quelques sacrifices, j’arrive à me payer une radio pocket VHF, pour pouvoir au moins écouter les radioamateurs !
Je commence à tourner la molette et là une voix : IT9… (indicatif de la Sicile, région du sud d’Italie d’où je suis originaire) appelle sur le relais.
Une autre voix répond : « bonjour, ici IW9 » …
Je reste abasourdi et fasciné par ces longs indicatifs aussi mystérieux qu’intrigants et je n’ai aucune idée de ce que ça veut dire. Je meurs d’envie de répondre mais je ne le fais pas… Il faut un indicatif. Je dois en savoir plus sur ce domaine inconnu.
Direction la boutique du coin pour l’achat du livre dédié à l’obtention de la licence radioamateur. Je commence à feuilleter ce bouquin qui fait plus de 300 pages et je vois que mes 5 années de lycée scientifique à peine terminées ne seront pas de trop pour l’examen.
Tout est à apprendre : formules, conversions électricité, électronique, synoptique, législation, CW…
Peu importe, il faut commencer si on veut rejoindre un jour l’Olympe des radioamateurs ! Mais d’autres études liées à ma profession d’aujourd’hui sont plus importantes, le livre qui mène au sacré Graal finit sur une étagère et reste là, abandonné, oublié, pendant 30 ans !
Cependant, je garde toujours un grand intérêt pour l’écoute en m’offrant un scanner et un Sangean pour l’activité de SWL.
Comme je le disais plus haut, lors du premier confinement, je ressors le Kenwood TS140 et un récepteur Yaesu FRG7700, cadeaux de la gentille dame niçoise et je commence à écouter la bande des 11 mètres.
Après quelques minutes de grésillement, une voix commence à sortir du haut-parleur, puis une autre et une autre encore ! Une vraie communauté dans les airs Parisiens.
Des personnes passionnées, comme moi, qui à la suite de la pandémie ont ressorti leur ancien matériel pour que la vie sociale puisse continuer avec les échanges des informations et des états d’âme, pour parler simplement de la météo, de technique ou de n’importe quoi.
Ma femme me dit : « Mais il y a internet pour cela, les réseaux sociaux, les applications de messagerie ! C’est vieux tout cela !
Certes. Mais le miracle d’échanger avec d’autres personnes rien que par les airs reste pour moi un éternel émerveillement.
D’un coup, revoilà les voix étrangères qui se bousculent sur la fréquence. Nous sommes en été 2020, la propagation bat son plein.
En quelques semaines l’Europe entière est dans mon log. La Russie et quelques pays de nord d’Afrique. Ça y est. Je suis à nouveau dedans !
Qu’est-ce que cela m’avait manqué pendant 30 ans !
Avec les DX et la communauté CB de l’Île-de-France je retrouve la joie de faire de la radio, de faire des expériences, de construire des dizaines d’antennes filaires !
Il faut avouer qu’internet et YouTube sont une source inépuisable d’informations et de tutoriels.
L’été s’achève, la propagation également !
D’un coup, un grand silence envahit la bande 11m sauf le QSO local du soir, avec les copains pour se raconter que non, même aujourd’hui pas de propagation…
Un soir, un peu ennuyé par le silence de mon FRG 7700, je fais un tour sur les bandes et je me dirige sur le 40m. Surprise ! La propagation est bel et bien présente sur cette bande.
Puis sur le 20m, aussi. Le 80m : Idem ! Donc, en ayant la licence on peut continuer à exercer sa passion et contacter le monde entier !
Je pense à mon livre d’il y a 30 ans ; serais-je en mesure de passer l’examen à mon âge ? Combien de temps faut-il pour apprendre ces centaines de notions ?
Je suis musicien dans la vie, j’ai 50 ans, je ne suis pas du tout passionné par la construction ou réparation de postes radio. Je veux juste communiquer avec le monde !
Partager ces émotions très fortes que peuvent donner d’entendre une voix d’un OM à l’autre bout de la planète, qui derrière sa station te reçoit et qui est à son tour à la recherche d’une voix lointaine ! C’est magnifique !
Un ami me dit : « Fonce ! Tu verras, ce n’est qu’une question de motivation ». En octobre 2020 je me retrouve avec beaucoup de temps libre et je commence sérieusement à travailler la matière.
Sans me décourager et avec beaucoup de détermination, j’avale les formules et j’enchaîne les exercices à longueur de journée, avec l’aide de certaines applications qui permettent l’entraînement à l’examen (Exam1).
Le grand pas est fait. Je me retrouve avec mon cerveau de quinquagénaire rempli de formules mathématiques, et de centaines de notions apprises par cœur, sans même pas savoir leurs significations, ni à quoi cela pourrait me servir un jour, mais c’est ainsi…
Rendez-vous est pris pour le 9 décembre à Villejuif, siège de L’ANFR. Je salue ma femme et mon fils comme si j’avais l’entretien professionnel qui changerait ma vie. En les quittant, je dis à mon épouse : « Si c’est bon, je te dirai de mettre le champagne au frais ».
La journée est caractérisée par une météo pourrie, j’arrive au centre de L’ANFR et je suis accueilli par un fonctionnaire de l’ANFR et qui me place dans une minuscule chambre avec un PC.
L’examinateur derrière moi, je commence à répondre au QCM proposé, le stress est à son comble.
Après avoir mis fin à la séance je me tourne vers mon assesseur qui vérifie les résultats de mon examen.
D’une voix calme il me dit : « C’est bon, vous l’avez, ce n’était pas simple mais vous êtes reçu !».
Je ne saurais décrire la joie de ce moment, mais je me suis dépêché d’écrire à ma femme pour lui dire : « tu peux mettre le champagne au frais ! »
Le 24 décembre, je reçois comme un cadeau de Noël du destin mon indicatif, F4ISS !
Le soir même, une antenne filaire montée sur une canne à pêche, j’ai l’immense satisfaction d’appeler sur les bandes HF VHF UHF pour me présenter comme nouveau F4, avec l’accueil chaleureux de mes correspondants.
Qui pouvait imaginer qu’un jour je puisse faire retentir ma voix sur ces bandes ? Après tant d’années d’écoute, je peux enfin répondre aux CQ avec mon indicatif flambant neuf !
J’ai toujours eu énormément de respect et d’admiration pour les radioamateurs et maintenant j’en fais partie.
Bien sûr, je n’ai rien contre la bande des 11m, au contraire. Je pense que beaucoup d’entre nous ont commencé par la CB. Cela peut être une activité très satisfaisante si on dispose de la place pour déployer des antennes adaptées. D’ailleurs, sur 11m, avec les bons moyens, on peut cultiver régulièrement le DX.
Mon problème est bien l’environnement. Un immeuble dans une zone urbaine très dense du 20ème arrondissement de Paris. Mon antenne filaire sur une canne à pêche est plutôt efficace. Une cinquantaine de pays contactés, rien qu’avec cette antenne, mais elle est très voyante !
Une antenne sur le toit serait vraiment le couronnement de cette belle aventure !
Impatient de conquérir le toit de mon immeuble, fier de ma nouvelle licence et avec les meilleures intentions de vouloir faire les choses dans le total respect des lois, je contacte le président du conseil syndical pour l’informer de ma démarche.
Il me répond qu’il prend acte de ma demande mais qu’il a quelques réserves notamment sur le plan de l’environnement historique, l’immeuble se trouvant à 600 mètres des colonnes de la place de la Nation.
Comme si je devais ériger une deuxième tour Eiffel !
Sur les conseils d’un ami radioamateur, je contacte le R. E. F. qui en la personne de Jean Dumur (que je remercie chaleureusement) gère de façon magistrale le dossier de ma demande.
Afin de présenter le dossier au syndic, il me faut un devis d’installation. Après plusieurs recherches sur Internet, et pas mal de refus de nombreuses entreprises, je déniche 2 professionnels « spécialisés » dans l’installation d’antenne radioamateur.
Suite à un rendez-vous de repérage, je reçois un papier succinct avec quelques lignes indiquant la quantité de vis, chevilles, 1 mat, main-d’œuvre pour un total de… 3600 € !! N’y aurait-il pas un zéro de trop ?
Non ! Le deuxième devis de l’autre installateur tombe, 4000 € ! Vous en conviendrez que c’est une somme importante et franchement incompréhensible…
Mais pour le moment, la chose la plus urgente est de présenter le dossier au syndic. Ce sera le moins cher.
Une petite parenthèse : lors de la visite de l’installateur, le gardien nous fait remarquer que sur le toit se trouve une grande antenne TV qui serait démontée, car obsolète, et remplacée par une autre antenne TV, plus récente, placée à quelques mètres plus loin.
Sur les conseils du REF est avec sa supervision, la demande est formulée dans cette direction : proposition du démontage de l’antenne TV hors-service (au cas où elle serait réellement débranchée), et installation de la mienne à sa place, en respectant la même hauteur, toujours sous les conseils du REF.
Pour cette raison, et pour faciliter l’avancement de mon dossier, je choisis une petite antenne multi bandes, la Diamond CP5 HS2.
Certes, elle ne sera pas la plus performante, mais cela ne me permettra de trafiquer et de ne plus devoir sortir sur mon balcon pour mettre en place une canne à pêche de 10 m de long, (pas très discrète d’ailleurs).
La lettre recommandée est envoyée au mois d’avril. Réponse attendue dans un délai de 3 mois, après vote de l’AG, qui aura lieu le 30 juin.
Ma démarche fait vite le tour de l’immeuble, à la suite des documents envoyés par le syndic aux copropriétaires, les regards se font fuyants lorsque je croise les voisins. Un jour une voisine vient vers moi avec l’air de vouloir me confier un secret : « Vous savez, beaucoup de personnes s’inquiètent car si votre installation est approuvée les gens vont rester sans télé. Vous les priverez de l’antenne TV ! »
Je la regarde avec des gros yeux, montrant ma surprise, et je me presse de la rassurer en disant que cela n’était qu’une proposition et que toutes les vérifications seraient effectuées avant de démonter quoi que ce soit, si cela n’était pas possible nous trouverions une autre solution.
Il y en a même qui me disent qu’ils vont s’équiper d’un brouilleur radio pour m’empêcher de transmettre et recevoir… Je contacte donc le REF qui me prépare une autre lettre dans laquelle nous rassurons le syndic que tout sera effectué par un professionnel sous contrôle du responsable du syndic et du président du conseil syndical, en même temps nous proposons un deuxième emplacement au cas où le premier ne serait pas possible.
Nous sommes le 1er juin, 1 mois avant l’AG, et je demande au syndic d’en informer les copropriétaires.
Cette deuxième lettre ne sera jamais diffusée…trop tard, me dit-on.
Je commence à perdre espoir. Je suis constamment interpellé par le président qui avec l’aide d’une juriste me rappelle que mon installation est bien soumise aux lois réglant les droits d’antenne, mais que le vote de l’AG est souverain, car le toit est une partie commune !
J’aurais envie de répondre en leur montrant les textes, mais, encore une fois sous les conseils du REF, je fais profil bas et je coupe la conversation rapidement.
L’AG approche et tous mes efforts, les journées entières consacrées aux études, l’examen même, tout cela me semble peu de choses, face à ce mur de méfiances, de mensonges et de suspicions…
À ma plus grande surprise, le vote est favorable. Ma demande est acceptée, de justesse ! Une poignée de votes aura fait la différence.
Il ne me reste plus qu’à prendre rendez-vous avec l’installateur et surtout… avec ma banque !
Un crédit à la consommation me permettra d’avoir enfin mon antenne sur le toit, mais avant de m’engager sur un crédit, je demande à nouveau, autour de mes connaissances, copains radioamateurs, et de la CB. Rien !…
Personne ne connaît un professionnel qui pourrait établir un ultime devis.
Puis me vient une idée ! Je cherche sur internet s’il existe une association de radioamateurs Parisiens.
Peut-être d’autres personnes ont rencontré les mêmes problèmes que moi et auraient trouvé une solution…
Enfin, je tombe sur le site de l’ARP (Amicale des Radioamateurs de Paris) et, encore une fois, je jette ma bouteille à la mer, en espérant que mon message sera lu.
La réponse arrive rapidement. Laurent F6FVY a lu mon message désespéré et me conseille de contacter Marc Fabrie, F6DWG.
Je le remercie et je prends contact avec Monsieur Fabrie par téléphone. Tout de suite je trouve en Marc une personne très gentille et rassurante. Après lui avoir donné tous les éléments (photos du toit, plan d’installation, modèle de l’antenne).
Marc rédige son devis : 330 €. Ne manquerait-il pas un zéro ?
Je transmets donc le nouveau devis au syndic qui prend contact directement avec Marc pour les assurances et c’est parti pour un rendez-vous commun avec toutes les parties pour l’installation à 9h. Le grand jour arrive !
Je rencontre Marc et j’ai la confirmation d’avoir trouvé en lui une personne extraordinaire, d’une honnêteté et compétence très rares aujourd’hui !
Il commence son repérage dans les multiples cabines techniques cachées dans mon immeuble et confirme que la vieille antenne TV est bien désactivée et est remplacée par une antenne plus récente.
Avec l’accord du syndic présent, Marc procède à sa dépose et après mille difficultés, la méfiance du président du conseil syndical, le vent, la pluie intermittente, les gaines techniques encombrées de toutes sortes de câbles, il a toujours son sourire et sa bonne humeur qui me réchauffent le cœur !
L’antenne est posée et réponds très bien à ses instruments de mesure. Marc a effectué un travail parfait et je n’ai donc plus besoin de mon antenne de balcon.
Les DX avec les USA, Canada, Amérique du Sud, sont désormais à l’ordre du jour.
Des voyages virtuels qui s’enchaînent sur les ondes radios et dans mon imagination…
Je peux enfin communiquer via radio avec le monde pour partager les expériences, afin d’agrandir mon bagage culturel et technique.
L’enfant qui écoutait les voix lointaines dans la radio de son papa et qui songeait à devenir un jour radioamateur, est encore là !
Mes sincères remerciements à Jean Dumur du R.E.F, Laurent F6FVY de l’ARP et Marc Fabrie, sans qui je n’aurais jamais pu réaliser mon rêve.
73 de Alessandro, F4ISS.